Archives des portraits d’après-carrières reliées au monde du sport via : http://www.plongeon.qc.ca/?q=node/970
Par Samuel Larochelle
Montréal, vendredi 9 mars 2012 – Au cours des dernières décennies, les spectacles de plongeon présentés un peu partout à travers le monde ont attiré de nombreux Québécois dans leurs rangs. Alors que certains affirment avoir vécu l’expérience de leur vie, d’autres ont carrément failli perdre la leur. Survol d’une réalité magnifique et dramatique.
Au Québec
Stéphanie De Lima, 10 ans d’expérience au Club de plongeon CAMO et à l’Université d’Hawaï, entreprend une carrière de performeuse estivale à La Ronde en 2007. Au menu : plongeon, comédie, trampo-murs, balançoire russe et haute voltige. « Quand je monte sur la plateforme d’un pied carré, à 24 mètres de haut, je me sens nerveuse, raconte Stéphanie. Mais aussitôt que je saute, je ne pense à rien et j’ai l’impression de voler.» En apprenant que les problèmes financiers des propriétaires de La Ronde (Six Flags) les incitent à se priver des spectacles de plongeon en 2011, Stéphanie trouve de nouvelles occasions de travailler : un spectacle estival à Canada’s Wonderland à Toronto et deux mois de tournée à Qingdao en Chine. « Quand j’ai commencé le plongeon en 2003, je ne me doutais pas que je serais en train de performer devant des milliers de Chinois un jour ! Je trouve ça merveilleux. »
Maxime Morneau-Ricard, 12 ans d’expérience au Club de plongeon Rouge et Or de l’Université Laval, est âgé de 15 ans lorsqu’il reçoit l’appel de Frédéric St-Pierre, un ancien plongeur devenu propriétaire de la compagnie « Les productions d’Eau d’Haut », qui s’est occupé des spectacles au Village Vacances Valcartier pendant des années. « Nous faisions plusieurs acrobaties impressionnantes et nous avions inventé plus d’une dizaine d’histoires à saveur humoristique », explique Maxime. En février dernier, les plongeurs de la Vieille Capitale ont appris à regret qu’il n’y aurait plus de spectacles de plongeon au VVV en 2012. « C’est vraiment dommage, affirme le plongeur. En plus de l’aspect monétaire qui était très intéressant pour les jeunes, nous avions un plaisir énorme à travailler pour Frédéric. Notre équipe était incroyable. Nous étions payés pour nous amuser. C’est le plus beau travail d'été qui existe! »
Ailleurs dans le monde
Sophie Paquin-Petitjean, 15 ans d’expérience en tant que plongeuse et entraineure au Club de plongeon AGAMI, se joint à une compagnie de divertissement peu de temps après son 18e anniversaire. Quelques heures après avoir terminé une session au cégep, elle prend l’avion à destination d’Orlando, en Floride, où elle travaille pour Brown Entertainment. « Même si j’ai toujours été spécialisée en plongeon, j’ai acquis plusieurs habiletés avec les années. Je peux maintenant faire une routine avec un partenaire en trampoline, en bungee, sur le trapèze et avec le cerceau aérien. » Au moment de réaliser l’entrevue, Sophie faisait partie d’une tournée de spectacles en Chine.
Isabelle Leblanc, 20 ans d’expérience en tant que plongeuse (dont 7 à CAMO), a longtemps apprécié les spectacles qui lui ont permis de continuer à plonger sans le stress des compétitions. En évoluant avec la Oliver’s Organisation pendant 15 ans, elle visite une dizaine de pays (Angleterre, France, Espagne, Allemagne, Suisse, Italie, Autriche, Philippines, Malaisie, Australie). Spécialiste au 10 m, au 15 m et en haute voltige, Isabelle nous raconte ce qui se passe là-haut. « Je sautais d’une tour qui avait l’air d’une antenne de télévision dans une piscine de 7 m de diamètre et de 9 pieds de profondeur. (NDLR : les règlements de sécurité de Plongeon Québec et de la FINA exigent 14.7 pieds de profondeur pour plonger du 10 m) Puisque la plupart des spectacles étaient présentés seulement quelques jours dans une même ville, les infrastructures devaient être mobiles. Je sais que ça n’a pas toujours l’air très solide, mais ce l’est. Les installations sont étudiées par des ingénieurs. »
Une histoire d’horreur
Nancy Chen-Ouellet, 11 ans d’expérience en tant que plongeuse (dont 7 à CAMO), s’élance dans les piscines canadiennes et américaines avec les Flying Fools de 1992 à 1996, avant d’accepter un contrat de six mois à Shengzen, en Chine. Lorsqu’elle plonge en Amérique du Nord ou en Asie, Nancy a l’habitude d’exécuter des figures avec lesquelles elle se sent confortable – la foule ne faisant généralement pas la différence avec un plongeon très difficile. Malheureusement, le jour où elle essaie de faire 2 sauts périlleux et ¾ en atterrissant sur le dos, lors d’un échauffement sur le trampoline, elle perd son orientation spatiale pendant une seconde. « J’ai eu le réflexe d’ouvrir la tête vers le bas, comme pour entrer à l’eau, mais c’était un trampoline qui m’attendait cette fois. J’ai entendu un crac. Je venais de me casser le cou. »
Sachant qu’une ambulance n’arrivera pas de sitôt en raison de la difficulté d’accès du parc où ils se produisent, les collègues de Nancy l’installent sur une planche, avec deux poches de riz pour immobiliser sa tête, et la transportent dans un camion. Le premier hôpital qu’ils croisent n’a pas l’équipement pour faire de radiographies. En arrivant au deuxième hôpital – qui n’a pas d’eau courante –, les médecins constatent que les bras de la plongeuse sont paralysés et qu’une greffe osseuse est nécessaire au niveau du cou.
Premier inconvénient : les chirurgiens n’ont jamais pratiqué la manœuvre envisagée. « Ils ont passé la nuit à étudier mon cas. Le lendemain matin, ils m’ont dit qu’ils croyaient être capables de m’opérer et qu’ils allaient faire de leur mieux. J’avais 50% de chances que ça réussisse. »
Deuxième inconvénient : les chirurgiens doivent faire l’opération sans anesthésie pour que Nancy puisse leur dire s’ils touchent à ses nerfs. « Pendant qu’ils m’opéraient, je communiquais avec eux grâce à une interprète qui ne connaissait rien du milieu médical. Je n’avais pas le droit de perdre connaissance ! » Après 24 heures, Nancy Chen-Ouellet retrouve l’usage de ses mains…
La suite se résume à 10 semaines passées sur un lit digne de la Deuxième Guerre mondiale et à une visite à l’Institut de neurologie de Montréal où on réalise que sa greffe osseuse est en train de tomber et qu’il faut la remplacer par une plaque en titane. Les médecins sont convaincus que Nancy pourra remarcher, mais lui expliquent qu’elle ne pourra pas replonger. Toutefois, grâce à une force de caractère hors du commun, Nancy Chen-Ouellet se remet sur pieds et devient même acrobate pour le Cirque du Soleil, quelques années plus tard.
L’accident de Nancy est-il un cas isolé ? Stéphanie De Lima parle de nombreux plongeurs qui frappent le fond de la piscine pendant un spectacle, Maxime Morneau-Ricard se souvient uniquement de « flats » spectaculaires, alors qu’Isabelle Leblanc connait une plongeuse qui s’est éclatée la cheville dans le fond d’une piscine et une autre qui est devenue paraplégique après s’être cassé le cou sur une scène.
Qu’en est-il des règles de sécurité ?
À l’époque où elle était chef d’équipe, Isabelle a toujours exigé un maximum de sécurité de la part de ses collègues. « Les gens qui font des spectacles adorent les sports extrêmes et tentent constamment de dépasser leurs limites, mais il ne faut jamais perdre de vue le danger de ce qu’on est en train de faire. » Au cours des tournées auxquelles Sophie a participé, une vérification des équipements est faite avant chaque journée de travail. « Tous les employés doivent être en mesure de reconnaître ce qui est normal ou pas. C’est la responsabilité des employeurs et des performeurs expérimentés de transmettre leurs connaissances aux nouveaux. »
Pourtant, selon ce qu’a pu observer Nancy, ingénieure de formation, les installations des spectacles sont toujours un peu instables. « L’échelle et la plate-forme ne sont pas totalement solides, les piscines sont construites avec des panneaux de métal qu’on monte comme des blocs LEGO et les tours de haut vol sont ancrées au sol avec des fils de métal qui ne résisteraient pas à au passage d’un ouragan. » La miraculée précise également qu’un apprentissage graduel des acrobaties pourrait éviter plusieurs accidents. « Par exemple, la haute voltige doit être enseignée graduellement (10, 20, 30, 40, 50, 60 pieds) en n’oubliant jamais que la marge de manœuvre est minuscule. »
Contrairement à ce qu’on retrouve sur les spectacles de tournée, les installations permanentes sont moins dangereuses. « À La Ronde et à Canada’s Wonderland, nous avions des piscines avec 12 pieds de profondeur, se souvient Stéphanie De Lima. Ça laisse une plus grande marge de manoeuvre. J’ai toujours eu un encadrement extraordinaire avec les deux compagnies. » Maxime Morneau-Ricard affirme de son côté que le sentiment de danger ne l’a jamais vraiment habité. « Cela peut sembler extrêmement risqué pour le commun des mortels, mais il s'agit d’un risque contrôlé. Tout le monde est très prudent pendant les spectacles. » Malgré la confiance et l’aisance dont le plongeur fait preuve, force est d’admettre que les risques sont assez élevés pour effrayer les compagnies d’assurance.
Le propriétaire de la compagnie de production qui gérait les spectacles de plongeon au Village Vacances Valcartier, Frédéric St-Pierre, explique que l’assurance du matériel et des installations étaient sous la responsabilité de VVV. En ce qui concerne les athlètes qui auraient pu se blesser en plongeant, aucune assurance salaire n’était offerte et aucune couverture de frais médicaux n’a jamais été mise en place. « Cette responsabilité revenait aux athlètes. Je les payais en conséquence et tous les plongeurs en étaient conscients. Étant donné que les budgets de VVV n’étaient pas énormes, je n’avais pas les moyens de m’occuper des assurances. »
Aux yeux de Kieran Malone, propriétaire d’Oma Entertainment, qui œuvre en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Malaisie et aux États-Unis, il en va de la responsabilité des compagnies de production d’assurer les performeurs, de les garder dans une condition physique optimale et de faire respecter les règles de sécurité. « Je connais des compagnies qui essaient de tourner les coins ronds pour faire plus d’argent. Dans certaines parties du monde, les dirigeants des parcs d’amusement ne forcent pas les compagnies à prendre une assurance et celles-ci en profitent souvent pour économiser. C’est très important que les plongeurs s’informent de la réputation d’une compagnie et qu’ils ne se laissent pas leurrer par l’exotisme du pays où ils pourraient travailler. Ils doivent exiger une preuve d’assurance afin d’être couverts en cas d’accident. De mon côté, je préfère produire des spectacles aux États-Unis où les mêmes standards de sécurité sont appliqués partout.»
La directrice exécutive de Plongeon Québec, Isabelle Cloutier, a récemment clarifié la position officielle de la fédération sur les spectacles de plongeon. « Plongeon Québec ne légifère pas ce genre d’activités. Dans le cas des spectacles non permanents – quand les compagnies s’installent sur le bord d’une rivière ou dans un festival, par exemple –, la majorité des installations sont montées par les plongeurs qui ne sont pas toujours spécialisés dans le domaine. Lorsqu’il s’agit de spectacles permanents, la profondeur des piscines n’est pas toujours sécuritaire. Par exemple, pour plonger du 3 m, il faut une piscine d’au moins 12 pieds de profondeur, et pour plonger du 10 m, il faut au moins 14,7 pieds.»
Isabelle Cloutier affirme également que les spectacles ont un impact néfaste sur la technique des plongeurs qui font encore de la compétition. « Les athlètes se coachent entre eux. Les plongeurs doivent souvent changer leurs façons de faire pour s’adapter à leurs costumes, à leurs collègues plongeurs dans les airs, à la hauteur inhabituelle des tremplins (par exemple, 4 m ou lieu de 3 m) ou pour plonger en synchro. Étant donné qu’ils exécutent des plongeons comiques, en plus des plongeons classiques, leur but est parfois d’aller le plus loin possible et de tomber sur le ventre dans la piscine. Le retour à l’entraînement normal peut donc être difficile. »
De toute évidence, il existe également des avantages associés aux spectacles de plongeon : travailler en plein air, vivre un trip de gang, avoir un boulot payant, continuer sa passion du plongeon sans pression, avoir une après-carrière dans sa discipline de prédilection, se faire aduler par un public, voyager à travers le monde et rencontrer des gens extraordinaires.
Néanmoins, la directrice exécutive de Plongeon Québec abonde dans le sens de Kieran Malone au sujet des précautions que les plongeurs doivent prendre avant de signer un contrat, et ce, qu’ils soient d’âge mineur ou majeur. « Quand un athlète prévoit faire 10 000$ dans son été et qu’il se blesse, il se peut qu’il doive retourner chez lui sans pouvoir travailler du reste de la saison. Ça coûte cher et ça fait mal. Les athlètes doivent savoir dans quoi ils s’embarquent avant de partir. En prenant le temps de discuter avec d’anciens athlètes du spectacle et de poser des questions sur la compagnie, ils augmentent leurs chances de prendre la bonne décision et de rendre leur expérience enrichissante et intéressante comme il se doit.»
***Visionnez le reportage de Radio-Canada sur l'accident du plongeur Maxim Bouchard et son retour au sommet via : http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.rad...