ISABELLE CLOUTIER : LA PLONGEUSE QUI VOULAIT TOUJOURS EN FAIRE UN PETIT PEU PLUS... PORTRAIT D'APRÈS-CARRIÈRE SPORTIVE

Archives des 8 autres portraits d’après-carrières sportives via : http://www.plongeon.qc.ca/?q=node/970

Par Samuel Larochelle

Montréal, le mercredi 6 juin 2012 – Véritable accroc du dépassement de soi, passionnée du plongeon depuis bientôt 30 ans, cette ex-entraîneure de l’équipe nationale junior fait partie du cercle très fermé des entraîneurs en plongeon de niveau 5 au Canada. Directrice exécutive de Plongeon Québec depuis cinq ans, Isabelle Cloutier fait partie de ces êtres humains qui n’ont jamais fini d’apprendre et de grandir.

Débutant le plongeon à l’âge de 12 ans en prenant des cours offerts par la ville de Terrebonne, à raison d’une heure par semaine pendant trois ans, Isabelle Cloutier affirme n’avoir jamais été une plongeuse de grand talent. « Je n’étais pas puissante, j’avais des problèmes d’orientation spatiale et j’en ai bavé longtemps avec la flexibilité. J’avais une espèce de tête de cochon, mais pas beaucoup de talent. » Après avoir réussi à convaincre ses parents de l’inscrire au Club de plongeon Laval, où elle plonge pendant trois ans, Isabelle découvre ensuite l’équipe de CAMO. Alors âgée de 18 ans, la jeune athlète s’entraine sous la houlette de Michel Larouche. « À l’époque, Michel était déjà l’un des meilleurs entraîneurs au monde. Je me sentais très privilégiée de plonger avec lui, dans l’une des plus belles piscines au pays (celle du Complexe sportif Claude-Robillard) et avec un super beau groupe de plongeurs. Je remerciais la vie chaque matin. »

Aux côtés de ceux qu’elle considère pendant des années comme sa deuxième famille (les Olympiens Annie Pelletier, Evelyne Boisvert, Bruno Fournier et Philippe Comtois, ainsi que les plongeurs Jean-Charles Leathead, Isabelle Leblanc, Anne-Josée Dionne, Nancy Chen-Ouellet et Lianna Turner), Isabelle passe 27 heures par semaine à l’entraînement. « J’ai toujours adoré m’entraîner, voir ma progression, me sentir bien dans ma peau et réussir des trucs que peu de gens sont capables de faire. Lorsqu’on consacre autant d’énergie au sport, on affronte plusieurs obstacles physiques, psychologiques et techniques, on surmonte des blessures, on apprend comment se fixer des objectifs et comment atteindre son plein potentiel. Si je pouvais, je recommencerais demain matin. »

Connaissant l’amour immense qu’elle a pour le monde du sport, pourquoi donc a-t-elle choisi de faire des études en comptabilité ? « C’est une maudite bonne question ! L’orienteur me l’avait suggéré, et dans ma tête, ça avait du sens parce que j’aimais les mathématiques. » Entre 1988 et 1991, Isabelle Cloutier complète donc une technique en finances au Cégep Ahuntsic, à deux pas de la piscine où elle s’entraîne. Les quatre années suivantes sont consacrées à un bac en sciences comptable, à l’UQAM. « C’est un bac de trois ans que j’aurais pu faire en 3 ans ½, avec mon entraînement, mais je l’ai fini en quatre ans, parce que j’ai fait une mononucléose… »

Lorsqu’on lui apprend le diagnostic, la plongeuse comprend toute de suite que sa maladie est le résultat de plusieurs années à concilier ses études, ses entraînements et plusieurs heures de travail en tant qu’entraîneure. « Quand je suis allée voir le médecin, il était surpris que ce soit ma première mononucléose. J’en faisais trop et je ne dormais pas assez. En plus de mes 27 heures de plongeon par semaine – et quelques fois plus –, je consacrais 12 heures par semaine à mon travail d’entraîneure au niveau national junior et j’avais quatre cours à l’université. En comptabilité, habituellement, 12 heures de cours exigent 36 heures d’études, mais je ne pouvais pas en faire plus de 10 ou 15. Et tout ça, c’était sans compter les deux heures de transport que je faisais chaque jour entre Terrebonne et Montréal. Mon horaire était très serré. Tout était planifié à l’heure près. »

Même si elle en fait beaucoup plus que la moyenne, jamais l’idée de calmer son horaire ne lui traverse l’esprit. « J’aimais tout et je ne voulais rien couper. Je n’avais pas envie de faire mon bac en 8 ans. C’était très important pour moi de préparer mon après-carrière. Je ne peux pas imaginer ce que peuvent vivre les athlètes qui atteignent un niveau élite dans le sport et qui ne font plus rien qui les stimule, lorsqu’ils prennent leur retraite.»

En plus d’accumuler deux diplômes, Isabelle Cloutier poursuit une carrière d’entraîneure qui a débuté alors qu’elle était en cinquième secondaire. « Un jour, je suis arrivée sur le bord d’une piscine à Laval, il manquait un entraîneur pour donner un cours d’initiation et Cécile Racine (alors présidente du Club de plongeon Laval) m’a gentiment dit que je devais aller m’en occuper. Ça a été la pire heure de ma vie ! Je ne savais pas quoi faire, ni quoi montrer. Je suis sortie de là en lui disant que je ne le referais jamais sans savoir comment m’y prendre. Quelques semaines plus tard, Mme Racine m’a inscrite à un cours de niveau 1 et le bal était parti. »

À travers les années, l’entraîneure Cloutier collabore avec des centaines d’athlètes, dont Jennifer Abel, Meaghan Benfeito, Roseline Filion, Maxim Bouchard, les sœurs Pamela et Carol-Ann Ware, Stéphanie De Lima, Laurence Vallée, Nicholas Lachance, Delphine Lachapelle et Stéphanie Gadbois, en plus de s’occuper de certains plongeurs comme Alexandre Despatie, Émilie Heymans et Alida Di Placido, lorsque Michel Larouche part à l’étranger avec les plus vieux. Plus les années passent, plus Isabelle apprend à définir l’entraîneure qu’elle devient. « Quand je voulais que quelque chose change, je ne lâchais pas facilement le morceau. Et comme je n’étais pas une athlète talentueuse, je savais comment bien décrire les étapes pour réussir un plongeon, contrairement à un ancien athlète pour qui tout était naturel. » Du reste, elle possède également la capacité d’identifier ce qui fonctionne moins bien pour elle. « Dans mes premières années, mon émotivité me causait plusieurs soucis. Je pouvais être très intransigeante. Mais ça s’est réglé avec le temps. »

À partir de 1995, la diplômée en sciences comptable travaille dans son domaine pendant 20 mois, tout en continuant d’évoluer en tant qu’entraîneure. Rapidement, elle comprend que le métier de comptable n’est pas fait pour elle. « Mon travail ne provoquait aucun changement concret. Je prenais une boîte, je passais au travers des papiers et je changeais de boîte. C’était trop routinier pour moi. Je n’avais pas l’impression de faire partie de quelque chose. »

Après avoir accepté de travailler à temps plein pour CAMO, en additionnant de nouvelles tâches administratives à son travail d’entraîneure, Isabelle Cloutier voit une série de compétitions l’éloigner de la routine pour de bon : Jeux du Québec, Championnats provinciaux et nationaux, Jeux du Canada, FISU Games, CANAMEX juniors, Championnats panaméricains juniors, Championnats du monde juniors, Grand Prix Coupe Canada, etc. Bien qu’elle tire une grande satisfaction de toutes ces expériences, l’entraîneure est tout aussi fière du travail accompli par plusieurs de ses plongeurs moins connus. « Quand je reçois les photos de graduation d’université de mes anciens, quand je vois des athlètes apprendre à se faire confiance et accomplir de grandes choses, grâce à ce qu’ils ont développé en plongeon, ça me rend très heureuse. »

Continuellement portée par son désir de se développer, Cloutier fait ses classes en tant qu’entraîneure et obtient son niveau 5. « J’ai acquis beaucoup de connaissances sur le terrain, mais comme je n’avais pas étudié en éducation physique ou en kinésiologie, j’avais l’impression que mes connaissances en biomécanique étaient limitées. En faisant mes niveaux 4 et 5, je me suis sentie mieux outillée. » En plus de se perfectionner d’année en année, Isabelle Cloutier aide les autres à en faire autant en devenant formatrice pour les cours compétition-introduction et compétition-développement, en plus de faire partie du comité canadien qui a planché sur le modèle de développement à long terme d'un athlète en plongeon.

Évoluer du côté des entraîneurs à partir de 1987, c’est également être témoin de l’évolution de la place de la femme en plongeon. « C’était très difficile à mes débuts. Un entraîneur masculin est déjà venu me dire qu’il ne croyait pas à ça, les femmes entraîneures. Je me rappelle aussi qu’il n’y avait aucun vêtement officiel pour les femmes. On devait porter le linge des gars. On n’était pas prises au sérieux et on était très minoritaires. Ça a pris beaucoup de résultats – souvent meilleurs que ceux des hommes – pour être considérées. On a commencé à voir plus de femmes par la suite. »

Preuve de sa passion dévorante pour le plongeon, elle trouve le moyen de regarder les Olympiques de 2004, même quelques heures après la naissance de Marc, son premier enfant. « J’ai crevé mes eaux en regardant la cérémonie d’ouverture à la télé. Une fois rendue à l’hôpital, j’ai expliqué aux infirmières que la télé devait être prête pour que je puisse regarder les épreuves de synchro. Je me suis aussi arrangée pour regarder les autres épreuves en allaitant. » Retrouvant le bord des piscines un an après avoir accouché, Isabelle est nommée responsable d’un groupe provincial-national, plutôt que de travailler avec des athlètes de niveau national-international, afin de pouvoir consacrer plus de temps à sa famille. « C’est très difficile d’être mère et de suivre les athlètes qui partent en compétitions internationales. Étant donné que mon mari (l’entraîneur Aaron Dziver) avait le même horaire que moi, on a déjà vécu un mois où on a dû faire garder Marc trois semaines sur quatre. À ce moment-là, on a compris que ça ne fonctionnait pas et qu’il nous fallait trouver des solutions. »

Quelques mois après la naissance de sa fille Mia, en 2006, Isabelle Cloutier se fait offrir le poste de directrice exécutive de Plongeon Québec. « J’ai toujours cru que ce serait agréable de faire ça un jour… quand je serais vieille ! Finalement, c’est arrivé à un moment où je cherchais un moyen de rester en plongeon avec deux enfants. » Bien entendu, qui dit directrice exécutive d’une fédération sportive dit également beaucoup travail de bureau, loin des piscines. « J’ai eu beaucoup de difficulté à faire mon deuil du travail d’entraîneur. Encore aujourd’hui, quand je me retrouve sur le bord d’une piscine, j’ai envie de coacher instinctivement. »

Même si le fait de reléguer ses anciennes amours au second plan s’avère une tâche bien difficile, ses nouvelles fonctions ne manquent pas de défis : relations avec le gouvernement et les différents partenaires sportifs, défense des intérêts du plongeon québécois, promotion du sport, demandes de subvention, gestion du personnel, gestion des Équipes du Québec, mise en place des programmes sportifs, supervision du réseau de compétitions, soutien aux clubs, aux entraîneurs et aux officiels, préparation du camp d’entraînement, lien avec le conseil d’administration et les différentes commissions, planification, organisation et direction des activités de la Fédération, etc.

Entre 2007 et 2012, bien des obstacles se sont dressés sur la route de la Fédération et de sa directrice. En plus de devoir user d’ingéniosité pour trouver de nouvelles sources de financement, d’abattre une plus grande quantité de paperasse associée à la multiplication des partenaires, et de fournir bien des efforts afin de protéger les acquis de Plongeon Québec, Isabelle Cloutier compose avec une transition d’employés en simultané. « En 2009, les deux employés de la Fédération ont quitté à deux mois d’intervalles. C’était rock and roll !»

Toujours bien en selle à la direction de Plongeon Québec, Isabelle Cloutier ne ferme pas la porte à un éventuel retour à la piscine, en tant qu’entraîneure. « Si un jour, ma vie familiale me le permet et que l’opportunité se présente, je vais y aller, mais je ne suis pas là du tout présentement. Je vais rester à Plongeon Québec tant et aussi longtemps que je vais y prendre plaisir. »

 

Publié le 6 / 06 / 2012 classé sous Communiqués de presse.